Engels |
SOCIALISME
UTOPIQUE
&
SOCIALISME SCIENTIFIQUE
[...]
Q
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uand l'Europe émergea du moyen âge, la bourgeoisie
montante; des villes constituait chez elle l'élément révolutionnaire. Cette
classe avait conquis dans l'organisation féodale une position reconnue, mais
qui, elle-même, était devenue trop étroite pour sa force d'expansion. Le
développement de la classe moyenne, de la bourgeoisie, devenait
incompatible avec le maintien du système féodal: le système féodal devait donc
être détruit.
Or le grand centre international du féodalisme était l'Église catholique
romaine. Elle rassemblait toute l'Europe féodale de l'Occident, malgré ses
guerres intestines nombreuses, en un grand système politique, opposé aux Grecs
schismatiques aussi bien qu'aux pays musulmans. Elle couronnait les
institutions féodales de l'auréole d'une consécration divine. Elle avait
organisé sa propre hiérarchie sur le modèle féodal et elle avait fini par
devenir le seigneur féodal de loin le plus puissant, propriétaire d'un bon
tiers au moins des terres du monde catholique. Avant que
le féodalisme profane pût être attaqué dans chaque pays avec succès et par le
menu, il fallait que son organisation centrale sacrée fût détruite.
Joana III.a Nafarroakoa, kalbinista |
De plus,
parallèlement à la montée de la bourgeoisie, se produisit le grand essor de la
science; de nouveau on cultivait l'astronomie, la mécanique, la physique,
l'anatomie et la physiologie. Et la bourgeoisie avait besoin, pour le
développement de sa production industrielle, d'une science qui établît les
propriétés physiques des objets naturels et les modes d'action des forces de la
nature. Or jusque-là, la science n'avait été que l'humble servante de l'Église,
qui ne lui avait jamais permis de franchir les limites posées par la foi; c'est
la raison pour laquelle elle était tout, sauf une science. Elle s'insurgea
contre l'Église; la bourgeoisie, ne pouvant se passer de la science, fut donc
contrainte de se joindre au mouvement de révolte.
Ces remarques, bien qu'intéressant seulement deux des points où la bourgeoisie montante devait fatalement entrer en collision avec la religion établie, suffisent pour démontrer, d'abord que la classe la plus directement intéressée dans la lutte contre les prétentions de l'Église catholique était la bourgeoisie, et ensuite que toute lutte contre le féodalisme devait à l'époque revêtir un déguisement religieux et être dirigée en premier lieu contre l'Église. Mais si les Universités et les marchands des villes lancèrent le cri de guerre, il était certain qu'il trouverait-et il trouva en effet-un puissant écho dans les masses populaires des campagnes, chez les paysans, qui partout devaient durement lutter pour leur existence même contre leurs seigneurs féodaux, tant spirituels que temporels.
Ces remarques, bien qu'intéressant seulement deux des points où la bourgeoisie montante devait fatalement entrer en collision avec la religion établie, suffisent pour démontrer, d'abord que la classe la plus directement intéressée dans la lutte contre les prétentions de l'Église catholique était la bourgeoisie, et ensuite que toute lutte contre le féodalisme devait à l'époque revêtir un déguisement religieux et être dirigée en premier lieu contre l'Église. Mais si les Universités et les marchands des villes lancèrent le cri de guerre, il était certain qu'il trouverait-et il trouva en effet-un puissant écho dans les masses populaires des campagnes, chez les paysans, qui partout devaient durement lutter pour leur existence même contre leurs seigneurs féodaux, tant spirituels que temporels.
La longue
lutte de la bourgeoisie contre le féodalisme atteignit son point culminant dans
trois grandes batailles décisives.
La
première fut ce qu'on appelle la Réforme protestante en Allemagne. Au cri de
guerre de Luther contre l'Église, deux insurrections politiques répondirent:
d'abord l'insurrection de la petite noblesse dirigée par Franz de Sickingen
(1523) puis la grande guerre des Paysans (1525). Toutes les deux furent
vaincues, surtout à cause de l'indécision des bourgeois des villes, qui y étaient
cependant les plus intéressés; nous ne pouvons examiner ici les causes de cette
indécision. Dès ce moment, la lutte dégénéra en une querelle entre les princes
locaux et le pouvoir central, et elle eut pour conséquence de rayer pour deux
siècles l'Allemagne du nombre des nations européennes jouant un rôle politique.
La réforme luthérienne enfanta certes un nouveau credo, mais une religion
adaptée aux besoins de la monarchie absolue. Les paysans allemands du Nord- Est
ne s'étaient pas plutôt convertis au luthéranisme, que d'hommes libres ils
furent ramenés au rang de serfs.
Mais là où
Luther échoua, Calvin remporta la victoire. Le dogme calviniste convenait
particulièrement bien aux éléments les plus hardis de la bourgeoisie de
l'époque. Sa doctrine de la prédestination était l'expression religieuse du
fait que, dans le monde commercial de la concurrence, le succès et l'insuccès
ne dépendent ni de l'activité, ni de l'habileté de l'homme, mais de
circonstances échappant à son contrôle. Succès ou insuccès ne sont pas ceux de
qui veut ou de qui dirige: ils tiennent à la grâce de puissances économiques
supérieures à l'individu et inconnues de lui. Cela était particulièrement vrai
à une époque de révolution économique, alors que de nouveaux centres
commerciaux et de nouvelles routes de commerce remplaçaient tous les anciens,
que les Indes et l'Amérique étaient ouvertes au monde, et que les articles de
foi économiques les plus respectables la valeur de l'or et de
l'argent-commençaient à chanceler et à s'écrouler. De plus la constitution de
l'Église de Calvin était absolument démocratique et républicaine, et là où le
royaume de Dieu était républicains, les royaumes de ce monde pouvaient-ils
rester sous la domination de monarques, d'évêques et de seigneurs féodaux ? Tandis
que le luthéranisme allemand devenait un instrument docile entre les mains des
princes, le calvinisme fonda une République en Hollande et d'actifs partis
républicains en Angleterre et, surtout, en Écosse. [...]
—Friedrich ENGELS ( http://www.marxists.org/francais/marx/80-utopi/utopi-0.htm )