Larissa Reissner / Лариса Рейснер |
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raternité! Il y a peu de mots qu’on ait autant
galvaudés au point qu’ils en sont affligeants! Mais la fraternité existe
parfois, dans des moments de détresse et de danger extrêmes ; elle est
alors si généreuse, si sacrée, si unique dans toute une vie. Personne n’a vécu,
personne ne connaît rien de la vie s’il n’a pas une nuit été allongé sur le
sol, dans des habits déchirés et infestés de poux, et pensé que le monde est beau,
qu’il est infiniment beau! Qu’ici ce qu’il y a d’ancien a été renversé et que la
vie se bat à mains nues pour établir irréfutablement sa vérité, pour les
cygnes blancs de sa résurrection, pour quelque chose de bien plus grand et de
meilleur que ce morceau de ciel étoilé qu’on voit par la fenêtre noire aux
carreaux cassés : pour l’avenir de toute l’humanité.
Le
contact se fait une fois tous les cent ans et il y a transfusion d’un sang
nouveau. Ces paroles magnifiques, ces paroles presque surhumaines de beauté, et
l’odeur de la sueur vivante, de la respiration vivante des autres qui dorment à
votre côté sur le sol. Pas de cauchemars, pas de sentimentalités, mais demain à
l’aube le camarade G., un bolchévik tchèque, préparera une omelette pour toute
la « bande » ; et le chef d’état-major mettra une vieille
chemise rêche et raide, lavée la veille. Le jour se lèvera et quelqu’un mourra en
sachant au dernier instant que la mort n’est qu’une chose parmi d’autres, et
que ce n’est pas la chose la plus importante du tout ; il mourra en
sachant qu’encore une fois Sviajsk n’est pas tombée et que sur le mur
crasseux demeure l’inscription à la craie : « Prolétaires de
tous les pays, unissez-vous! » [...]
—Larissa
Reissner / Лариса Рейснер ( http://www.icl-fi.org/francais/spf/41/reissner.html )
Trotsky |
“...поезд Троцкого лежит себе вдоль полотна...”